Page:Leibniz - Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1921.djvu/83

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aperçois pas, et qui rendent un mouvement un peu plus malaisé que l’autre. Toutes nos actions indélibérées sont des résultats d’un concours de petites perceptions, et même nos coutumes et passions, qui ont tant d’influence dans nos délibérations, en viennent : car ces habitudes naissent peu à peu, et par conséquent sans les petites perceptions on ne viendrait point à ces dispositions notables. J’ai déjà remarqué que celui qui nierait ces effets dans la morale imiterait des gens mal instruits qui nient les corpuscules insensibles dans la physique : et cependant je vois qu’il y en a parmi ceux qui parlent de, la liberté qui, ne prenant pas garde à ces impressions insensibles, capables de faire pencher la balance, s’imaginent une entière indifférence dans les actions morales, comme celle de l’âne de Buridan mi-parti entre deux prés. Et c’est de quoi nous parlerons plus amplement dans la suite. J’avoue pourtant que ces impressions font pencher sans nécessiter.

Philalèthe. On dira peut-être que dans un homme éveillé qui pense, son corps est pour quelque chose et que le souvenir se conserve par les traces du cerveau, mais que lorsqu’il dort, l’âme a ses pensées à part en elle-même.

Théophile. Je suis bien éloigné de dire cela, puisque je crois qu’il y a toujours une exacte correspondance entre le corps et l’âme, et puisque je me sers des impressions du corps dont on ne s’aperçoit pas, soit en veillant ou en dormant, pour prouver que l’âme en a de semblables. Je tiens même qu’il se passe quelque chose dans l’âme qui répond à la circulation du sang et à tous les mouvements internes des viscères, dont on ne s’aperçoit pourtant point, tout comme ceux qui habitent auprès d’un moulin à eau ne s’aperçoivent point du bruit qu’il fait. En effet, s’il y avait des impressions dans le corps pendant le sommeil ou pendant qu’on veille dont l’âme ne fût point touchée ou affectée du tout, il faudrait donner des limites à l’union de l’âme et du corps, comme si les impressions corporelles avaient besoin d’une certaine figure et grandeur pour que l’âme s’en puisse ressentir ; ce qui n’est point soutenable si l’âme est incorporelle, car il n’y a point de proportion entre une substance incorporelle et une telle ou telle modification de la matière. En un mot, c’est une grande source d’erreurs de croire qu’il n’