Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/12

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et dont on ne conçoit les cheveux que fouettés par le vent. Il a su exprimer avec des mots plus de sensations qu’on n’avait fait avant lui. Il est l’homme qui a « renouvelé l’imagination française » (Faguet). Il est le père du romantisme et de presque toute la littérature du dix-neuvième siècle. Et il est l’inventeur d’une nouvelle façon d’être triste.

Et puis ? En ce qui regarde sa gloire, sa chance est inouïe, presque égale à celle de l’Empereur. Il est, entre nos grands écrivains, le seul qui soit pleinement « à cheval » sur deux mondes, le seul qui ait appartenu à l’ancien régime et au nouveau, le seul qui ait presque autant vécu dans l’un que dans l’autre, le seul aussi qui ait tant voyagé et qui ait vu tant d’aspects de la terre. Il est né en 1768, dix ans avant la mort de Voltaire et de Rousseau. Il est mort en 1848, quand Taine et Renan écrivaient déjà. Nos pères auraient pu le voir entrer à l’Abbaye-aux-Bois.

Comme l’ancienne France et la nouvelle, il a connu le dur passage de l’une à l’autre ; il en a souffert dans son âme et dans sa chair. Il a vu la Révolution et il a vu l’Empire. Son génie a reçu de la réalité les plus beaux ébranlements. Il a « bâillé sa vie », c’est entendu ; mais nul n’a été plus aimé, et nul n’a plus joui de sa gloire et de sa tristesse. Orgueil, désir, ennui, c’est toute son âme. Il nous a légué des façons de sentir où nous trouvons encore des délices.

Voilà, sommairement, ce que Chateaubriand