Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/126

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homme qui se croit marqué pour un malheur spécial, et qui s’enorgueillit de cette prédestination et qui s’en autorise pour se mettre au-dessus des lois. Et c’est déjà le réfractaire et le révolté. De même Ériphyle (dans Iphigénie), amoureuse d’Achille pour s’être sentie pressée dans ses bras ensanglantés, se croit maudite, et s’en vante, et, à cause de cela, s’arroge tous les droits, orgueilleuse du secret de sa naissance, du mystère de sa destinée, et du don qu’elle possède, comme Oreste, de répandre le malheur autour d’elle. Seulement, Racine nous donne Oreste et Ériphyle pour ce qu’ils sont, le premier pour un malade, la seconde pour une très méchante fille : au lieu que Chateaubriand adore René, et non seulement l’absout, mais l’admire et le glorifie. Et pareillement Hugo, Dumas et Sand adoreront Didier, Antony et Lélia, auxquels René léguera son âme vaniteuse et triste.

Mais il me semble qu’il y a encore quelque chose de plus dans le René des Natchez, à cause de la lettre à Céluta.

René lui écrit cette lettre un peu après avoir reçu la nouvelle de la mort d’Amélie. Il l’écrit sans nulle nécessité, pour le plaisir, et tout en sachant qu’elle fera souffrir la pauvre petite Peau-Rouge, qui n’y comprendra rien, sinon qu’il est malheureux et qu’il ne l’aime pas. Mais cette lettre exprime un magnifique délire ; et, bien qu’elle soit très connue, il est utile que je vous en relise les passages les plus significatifs.

Ceci,