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est le propre d’une sensibilité profonde de recevoir une
volupté plus grande de l’opinion d’elle-même que de ses jouissances positives…
Nous souffrons de n’être pas ce que nous pourrions être ; mais, si nous nous trouvions dans l’ordre de choses qui manque à nos désirs, nous n’aurions plus ni cet excès de désirs, ni cette surabondance de facultés ; nous ne jouirions plus du plaisir d’être au delà de nos destinées, d’être plus grands que ce qui nous entoure, plus féconds que nous n’avons besoin de l’être…
D’où vient à l’homme la plus durable des jouissances de son cœur, cette volupté de la mélancolie, ce charme plein de secrets, qui le fait vivre de sa douleur et l’aimer encore dans le sentiment de sa ruine ? Je m’attache à la saison heureuse qui bientôt ne sera plus… Une même loi morale me rend pénible l’idée de la destruction, et m’en fait aimer le sentiment dans ce qui doit cesser avant moi. Il est naturel que nous jouissions mieux de l’existence périssable lorsque, avertis de toute sa fragilité, nous la sentons néanmoins durer en nous.
Il me semble bien que tout ceci est profond, et qu’Obermann explique un des plaisirs habituels de René mieux que René ne l’expliquera jamais.
Au reste Senancour, à mesure qu’il avance dans la vie, sans être jamais heureux (mais est-il possible et est-il nécessaire de l’être ?) paraît moins malheureux. Dire qu’on a besoin de l’infini, qu’on veut, qu’on exige l’infini, il s’aperçoit peu à peu que cela n’a peut-être pas beaucoup de sens ; et ces plaintes-là et ces récriminations-là reviennent plus rarement sous sa plume. Il n’a pas les glorieuses