Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/244

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Comment

 tracera-t-on des pages dignes de l’avenir, s’il faut s’interdire,
 en écrivant, tout sentiment magnanime, toute pensée forte et
 grande ? La liberté est si naturellement l’amie des sciences et
 des lettres qu’elle se réfugie auprès d’elles lorsqu’elle est
 bannie du milieu des peuples.

—C’est tout ? direz-vous. Ce lieu commun inoffensif, c’est la grande hardiesse de ce discours ? Oui, et j’ajoute qu’après ce lieu commun l’auteur glorifie César qui « monte au Capitole », et salue la « fille des Césars » qui « sort de son palais avec son jeune fils dans ses bras ». Et pourtant c’est à cause de ce lieu commun que la commission de l’Académie, nommée pour entendre le discours, le repoussa ; et c’est surtout ce lieu commun que l’empereur, sur le manuscrit, lacéra de coups de crayon impérieux. Chateaubriand déclara qu’il ne ferait pas de corrections, et la commission décida qu’il ne serait pas reçu.

Mais l’année suivante (« ce mélange de colère et d’attrait de Bonaparte contre et pour moi est constant et étrange ») l’empereur, qui se savait admiré de madame de Chateaubriand, qui souhaitait peut-être faire oublier l’incident du discours interdit, qui sentait que Chateaubriand était l’écrivain le plus original de son empire, et qui enfin aimait assez faire alterner la menace et la caresse, demanda à l’Académie, à propos des « prix décennaux », pourquoi elle n’avait pas mis sur les rangs le Génie du christianisme.

Car