Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/264

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bonapartistes et presque tous anciens révolutionnaires. Il fallait bien tenir compte de la France des vingt-cinq dernières années. (On le voit bien aujourd’hui : une restauration monarchique serait obligée d’utiliser tout ce qui a servi la République avec talent.) Mais alors, et par la force des choses, la Restauration semblait devenir une entreprise d’anciens impérialistes et d’anciens jacobins. Chateaubriand dit là-dessus fort éloquemment (Mémoires, t. III, p. 452.) :

… Avec qui et chez qui dînait en arrivant le
 lieutenant-général du royaume (le comte d’Artois) ? Chez des
 royalistes et avec des royalistes ? Non : chez l’évêque d’Autun
 (Talleyrand) avec un Caulaincourt. Où donnait-on des fêtes aux
 infâmes princes étrangers ? Aux châteaux des royalistes ? Non, à
 la Malmaison chez l’impératrice Joséphine. Les plus chers amis
 de Napoléon, Berthier par exemple, à qui portaient-ils leur
 ardent dévouement ? À la légitimité. Qui passait sa vie chez
 l’autocrate Alexandre, chez ce brutal Tartare ? Les classes de
 l’Institut, les savants, les gens de lettres, les philosophes
 philanthropes, théophilanthropes et autres ; ils en revenaient
 charmés, comblés d’éloges et de tabatières. Quant à nous,
 pauvres diables de légitimistes, nous n’étions admis nulle part ;
 on nous comptait pour rien… Tantôt on nous faisait dire dans la
 rue d’aller nous coucher ; tantôt on nous recommandait de ne pas
 crier trop haut Vive le roi !  D’autres s’étaient chargés de ce
 soin.

Il jugeait ces choses, quoique inévitables, répugnantes. Car il avait l’âme noble. Il ne pouvait contenir ni dissimuler son dégoût. Louis XVIII avait