Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/296

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véritable niaiserie ? (Disons : une surprenante candeur.) Jamais bourgeois n’a été à ce point ébloui d’être ambassadeur ou ministre. Et pourtant ce n’était pas une si grande affaire, même en ce temps-là. Beaucoup le sont ou l’ont été, et nous voyons tous les jours qu’on peut l’être sans génie. Mais Chateaubriand est au moins aussi fier de l’avoir été que d’avoir écrit Atala. Une de ses plus grandes joies est d’être appelé Votre Excellence.

Pareillement, une de ses plaies, c’est que, étant grand poète, on ne consent pas qu’il puisse être en même temps grand politique ou grand diplomate. Les nombreux passages où il se révolte contre cette prévention ne sont pas sans quelque inconsciente bouffonnerie. Notez que, pour ma part, j’admets sans hésiter que Chateaubriand fut aussi intelligent, même des choses de la diplomatie, qu’un Talleyrand, un Metternich ou un Canning ; qu’il fut même capable de vues plus profondes et plus étendues, et qu’il écrivit de plus belles dépêches. Ce qui a pu lui manquer pour être un grand diplomate ou un grand politique autrement que par ses vues, ce sont peut-être, ce sont sûrement des qualités dont lui-même faisait peu de cas : la souplesse, l’art de feindre et de tromper, de se servir des vices des autres, l’art d’attendre, la faculté de s’attacher très longtemps à un même dessein et de ne se laisser rebuter ni par les insuccès ni par les avanies. C’est par là (et par les occasions), non