Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/305

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profondément senti et sans doute le plus « romancé ». Ce Chateaubriand adolescent, le voilà, le vrai « René », bien supérieur à celui de la Nouvelle. Il n’y a de comparable à cela que les premiers livres des Confessions de Jean-Jacques. Jean-Jacques parle déjà comme René : « J’étais inquiet, distrait, rêveur ; je pleurais, je soupirais, je désirais un bonheur dont je n’avais pas l’idée, et dont je sentais pourtant la privation. » C’est le même mal charmant. Seulement la grâce des choses est plus familière autour du jeune Jean-Jacques qu’autour du jeune René ; et, d’autre part, l’enfant souillé de l’horloger de Genève fait plus de pitié, serre plus le cœur que le petit gentilhomme de Combourg. Mais les tableaux de l’adolescence de celui-ci sont d’une poésie somptueuse et sont un délice pour l’imagination. Et il faut lire tour à tour les récits de Jean-Jacques et les récits de René, selon qu’on veut être douloureusement triste, ou triste avec volupté.

Puis, c’est le tableau des commencements de la Révolution. Cela est d’une couleur intense, quoiqu’il écrive ces pages après 1830, alors qu’autour de lui on commençait à pallier les crimes de la Révolution et à transfigurer les criminels. Chateaubriand se souvient avec intégrité. Il voit la plupart des révolutionnaires comme les verront Taine et Renan, c’est-à-dire stupides autant que scélérats. C’est le voyage en Amérique, un nouvel et définitif arrangement de ce voyage où, ne voulant perdre