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Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/351

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immodestie tous les hommes de lettres du dix-neuvième siècle, qui pourtant… Et, de toutes les œuvres qu’il a publiées de son vivant, on ne lit presque rien. On ne lit réellement que ses Mémoires, qui sont un roman splendide à cent actes divers, et qui ont toutes les beautés, excepté le charme déchirant et le tragique intime des Confessions de Jean-Jacques.

Ces Mémoires même nous révèlent trop ce qu’il n’aurait probablement pas voulu que nous sachions : le désaccord entre son rôle et sa nature, entre son rôle de défenseur de la religion et de la royauté et son tempérament de révolté et d’homme de désir, de nihiliste par impossibilité d’être assouvi. Dans ces Mémoires, qui sont des confessions autrement qu’il ne croyait, pour y avoir trop « composé » sa vie, et trop visiblement, et pour y avoir étalé l’adoration de soi aussi naïvement qu’un enfant ou une femme, cet homme d’un si grand génie nous donne à tous, si peu de chose que nous soyons, le droit de sourire ; et, s’il le sait, c’est son châtiment, ou du moins une part de son purgatoire.

Mais il est aimable. S’il était ici, nous l’adorerions. Je l’aime surtout vieillissant, comme j’ai aimé Racine et Fénelon, comme j’ai fini par aimer le pauvre Jean-Jacques, — parce que, à force de vivre avec les gens, on les comprend mieux, ou bien on s’habitue à leurs défauts, et aussi parce que, si dévorante et si illusionnée qu’ait été l’âme d’un homme, elle devient forcément, dans la