Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/48

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tout, quelquefois sans s’en apercevoir.)

Il revient à Londres, de plus en plus triste. Mais il se remet au travail. Il écrivait, en pensant à Charlotte ; l’idée lui était venue, nous dit-il, « qu’en acquérant du renom, il rendrait la famille Ives moins repentante de l’intérêt qu’elle lui avait témoigné ». Mais il écrivait surtout parce qu’il avait la passion d’écrire et parce qu’il voulait la gloire. Il voulait la gloire, bien qu’il se crût désespéré ; et il écrivait sur la Révolution, parce qu’il n’aurait pu sans doute écrire sur autre chose, parce que c’était la Révolution qui avait bouleversé sa vie, qui la lui avait faite tragique et sinistrement variée, et qu’elle l’avait mis dans cet état de sombre exaltation, où, la mémoire débordant d’images fortes et le cœur de fortes émotions, il ne se pouvait plus contenir et se sentait capable de peindre l’univers et à la fois d’expliquer l’histoire humaine et d’en montrer l’absurdité. « L’Essai, dit-il, offre le compendium de mon existence, comme poète, moraliste, publiciste, politique. » Fils d’un père hypocondre, frère d’une sœur à demi folle et qui se tuera, il avait, dans une série de secousses de sa sensibilité, vu la plus vieille France et fait, dans la plus mélancolique nature, des orgies de solitude ; vu la royauté de Versailles, le Paris aimable, le Paris sanglant et l’immense Révolution, la mer, les paysages de glace, la forêt vierge et les fleuves d’Amérique, la guerre civile, l’émigration pauvre de Londres ; connu la