Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/50

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S’il a cessé de croire d’assez bonne heure, il se souvient d’avoir cru, il a gardé le respect de l’Église et la sensibilité chrétienne. Mais d’autre part, — nous l’avons vu et nous le verrons mieux encore, — il est nourri de Rousseau, qu’il considère comme un dieu, et dont l’Émile lui paraît un « livre sublime ». Et, d’autre part encore, s’il se retrouve souvent déiste et spiritualiste à la manière de Jean-Jacques, il glisse d’autres fois au matérialisme, il croit à la plus sombre fatalité ou, plus simplement, il ne croit à rien, sinon à la tristesse et à l’absurdité de tout. En somme (comme il le dira lui-même dans l’Essai, I, 22) « il ne sait pas ce qu’il croit et ce qu’il ne croit pas ». Sa tête est un chaos. Il avait fait autrefois des mathématiques et de l’art naval. Puis il avait lu prodigieusement : toute la bibliothèque grecque et latine, je pense, et tous les livres importants du dix-huitième siècle et surtout les encyclopédistes. Un monde de lectures par-dessus un monde d’impressions personnelles.

Ce jeune homme malheureux et atteint « d’une forte encéphalite », pour parler comme Renan, intitule son « pourana » : Essai historique, politique et moral sur les Révolutions anciennes et modernes considérées dans leurs rapports avec la Révolution française. Rien de moins.

On voit assez clairement, il me semble, comment cette idée était venue à ce jeune homme. Il est orgueilleux, il se pique de philosophie et de sang-froid. Il réagit et se raidit contre sa destinée. Un homme