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Page:Lemaître - Chateaubriand, 1912.djvu/84

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le jugement dernier, tandis que son corps, à elle, a été enlevé au ciel aussitôt après sa mort. Mais surtout je crois que le chevalier s’est dit : « Celle-là, nous l’aimons ; et comment la concevrions-nous ? Et que pouvons-nous aimer, qui ne soit de chair ? Et d’ailleurs, si elle n’avait pas de corps, comment et avec quels ressouvenirs aurait-elle pitié, puisque la pitié est sa fonction ? S’il ne prêtait un corps à Marie, le poète ne pourrait pas dire : « Une tendre compassion pour les hommes, dont elle fut la fille, une patience, une douceur sans égale rayonnent sur le front de la Mère du Sauveur. » Et enfin, qui prierait la Vierge Marie, si elle n’avait éternellement la figure d’une femme ? Mais il en résulte ceci d’étrange, que le paradis, c’est, dans une immensité immatérielle, seul visible, seul tangible, un corps féminin…

Voilà du « merveilleux chrétien ». Et c’est merveilleux en effet. Et c’est charmant. Le culte de la Vierge est presque toute la religion de beaucoup de catholiques. Une jeune femme disait : « Je ne crois pas à Dieu, mais je crois à la sainte Vierge. »

Marie répond aux deux saintes, aux martyrs et au roi Louis : « Vos prières ont trouvé grâce à mon oreille ; je vais monter au trône de mon fils. » Et elle part « comme une colombe qui prend son vol ». Et Marie, — qui seule des justes a un corps, ne l’oublions pas, — approche du Calvaire immatériel. Mais dans cet autre monde ces petites contrariétés n’ont aucune importance.