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Page:Lemaître - Impressions de théâtre, 3e série, 1889, 5e éd.djvu/342

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IMPRESSIONS DE THÉATRE.

se passe quelque chose.) Qui n’a été fier de voir guillotiner un criminel célèbre ? Aujourd’hui encore, il y des gens qui font haie à la porte de la Comédie-Française pour voir passer Mlle Frémaux ou M. Le Bargy, et qui s’en vont très satisfaits d’eux-mêmes !

Si c’est une telle joie de regarder ceux dont tout le monde connaît le nom, ce doit être un délice infini d’être de ceux qu’on regarde et dont on parle. Cette réflexion m’a toujours empêché de plaindre, autant que je le devrais, les assassins pinces et même les condamnés à mort. Car songez-y, ce que quelques-uns seulement des autres hommes n’obtiennent que par des années de labeur, à force de talent, d’argent ou d’industrie, les assassins le conquièrent du premier coup, — du premier coup de couteau. La grande célébrité, ils l’ont du jour au lendemain. Ils se trouvent subitement plus connus que M. Georges Ohnet ou M. Géraudel. Cela doit être un grand réconfort pour ceux qui sont pris, et, par suite, une consolation anticipée, quelquefois un excitant, pour les autres. En tout cas, cela doit singulièrement affaiblir, chez les âmes bien nées, les effets de la peur du châtiment. Oh ! la gloire des Assises ! la joie d’être, pendant plusieurs jours, le principal objet de l’attention de ses contemporains ! Même à la dernière heure, ce doit être encore une manière de plaisir, — de plaisir mortel, — de sentir, en marchant vers la guillotine, que des milliers et des milliers d’yeux vous regardent. Des législateurs proposent que les exécutions capi-