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Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/138

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qui la remit à l’instant au sien en baisant cette noble main qu’elle arrosa de larmes.

Et je ne vous dirai pas si cela est touchant ou comique — attendu que je n’en sais rien. Mais nous retrouverons dans la Nouvelle Histoire ce galvaudage des idées de morale et cette espèce de sécurité béate dans les situations équivoques.

A Genève donc il est fort bien reçu. Il se sent chez les siens. Il retrouve en lui-même son premier fond protestant et républicain. Il revient très content. C’est vers cette époque (1755) qu’il commence à traiter Thérèse comme une sœur ; soit (car avec lui on ne sait jamais) parce que sa santé ne lui permettait plus de la traiter autrement, soit pour cette autre raison, fort honorable, qu’il nous donne : « Je craignais la récidive (c’est-à-dire de nouveaux enfants), et, n’en voulant pas courir le risque, j’aimai mieux me condamner à l’abstinence ». Il jouit de son héroïsme, il jouit de ses singularités, il jouit de la beauté de son masque qu’il ne distingue plus lui-même de son visage. Il vit dans un état d’exaltation, d’enthousiasme moral, qui dura « quatre ans au moins », dit-il d’abord, ou « près de six ans », dit-il à la page suivante.

Écoutez ce morceau magnifique :

Jusque-là j’avais été bon : dès lors je devins vertueux ou du moins enivré de la vertu…

(Oh ! que ce n’est point la même chose ! et que l’ivresse et la vertu vont mal ensemble ! Boileau, ce