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Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/145

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cachait sous le dehors d’une politesse timide, quelquefois même obséquieuse et tenant de l’humilité. Mais, dans sa réserve craintive, on voyait de la défiance ; son regard en dessous observait tout avec une ombrageuse attention. Il n’en était pas moins amicalement accueilli : comme on lui connaissait un amour-propre inquiet, chatouilleux, facile à blesser, il était choyé, ménagé avec la même attention et la même délicatesse dont on aurait usé à l’égard d’une jolie femme bien capricieuse et bien vaine, à qui l’on aurait voulu plaire. Il travaillait alors à la musique du Devin du Village et il nous chantait au clavecin les airs qu’il avait composés. Nous en étions charmés. Nous ne l’étions pas moins de la manière ferme, animée et profonde dont son premier essai en éloquence était écrit. Rien de plus sincère, je dois le dire, que notre bienveillance pour sa personne et que notre estime pour ses talents.

(Cela doit être vrai, on le sent. Nous avons vu cela. Il nous est arrivé à tous d’être particulièrement gentils pour un confrère de talent à qui nous savions un sale caractère.)

Telles étaient encore, ce semble, les dispositions de ses amis, lorsque Jean-Jacques vint à l’Ermitage.

Rousseau dit que, tout de suite après le Devin ils avaient été jaloux de lui parce qu’ils n’auraient pas su, eux, faire un opéra-comique. Il dit aussi qu’ils lui en voulaient de sa réforme morale, qu’ils ne lui pardonnaient pas sa vertu. Cela est bien peu croyable. Sa célébrité subite a pu les ennuyer un moment ; mais je crois qu’ils ne lui furent ennemis que plus tard, après qu’il les eut lassés par