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Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/150

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…Madame d’Épinay, souvent seule à la campagne, souhaitait que je lui tinsse compagnie. C’était pour cela qu’elle m’avait retenu… Il faut être pauvre, sans valet, haïr la gêne et avoir mon âme, pour savoir ce que c’est pour moi que de vivre dans la maison d’autrui. J’ai pourtant vécu deux ans dans la sienne, assujetti sans relâche avec les plus beaux discours de liberté, servi par vingt domestiques et nettoyant tous les matins mes souliers, surchargé de tristes indigestions et soupirant sans cesse après ma gamelle…

Il aurait dû s’en aviser plus tôt. Dès qu’il s’en avise, il devrait partir, coûte que coûte. Mais il reste sur les prières de madame d’Houdetot, qui craint des « histoires ». Et il attend que, sous l’influence de ce mauvais chien de Grimm, madame d’Épinay, qui est déjà à Genève, lui signifie son congé.

Et, le 15 décembre 1757, en plein hiver et par la neige, il déménage, — beaucoup trop tard pour sa dignité. Où va-t-il ? A Paris, où l’on peut si bien vivre seul ? Dans quelque maisonnette de la banlieue, dont le propriétaire serait un bourgeois inconnu, à qui il n’aurait nulle obligation ? Non, mais à Montlouis, près de Montmorency, dans une maison que lui loue M. Mathas, procureur fiscal du prince de Condé, et tout proche du château du maréchal et de madame de Luxembourg, dont il sera encore, et quoi qu’il fasse, l’obligé, et qui lui feront du mal sans le vouloir. Mais quoi ! On dirait que cet ami des sauvages et cet homme d’une indépendance si farouche ne peut absol