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Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/211

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lités du premier volume, — chères pourtant à Jean-Jacques quand il les écrivit, — sont balayées comme par un vent fort et salubre ! Déjà, on voyait poindre, dans les premières lettres de Saint-Preux et même de Julie, la théorie de la fatalité de l’amour et presque du droit souverain de la passion : « N’as-tu pas, disait Saint-Preux, suivi la plus pure loi de la nature ? Comment veux-tu qu’une âme sensible goûte modérément des biens infinis ? » Et encore : « Connaissez-le enfin, ma Julie ; un éternel arrêt du ciel nous destina l’un pour l’autre : c’est la première loi qu’il faut écouter ». Et, Julie tombée, il recommençait à parler de vertu, et elle aussi. — Mais écoutez Julie mariée :

Je frémis quand je songe que nous osions parler de vertu. Savez-vous bien ce qui signifiait pour nous un terme si respectable et si profane, tandis que nous étions engagés dans un commerce criminel ? C’était cet amour forcené dont nous étions embrasés l’un et l’autre qui déguisait nos transports sous ce saint enthousiasme, pour nous le rendre encore plus cher et nous abuser plus longtemps… Il est temps que l’illusion cesse.

Et Julie dit encore à Saint-Preux :

Quand, avec les sentiments que j’eus pour vous et les connaissances que j’ai maintenant, je serais libre encore et maîtresse de choisir un mari, ce n’est pas vous que je choisirais, c’est M. de Wolmar.

Et elle lui dit même ce mot définitif : « Si le ciel m’ôtait cet époux, ma ferme résolution est de n’en prendre jamais un autre. »