possibilité de le recouvrer par le travail de dix autres. Certainement, s’il y a quelque chose qui mérite le nom d’héroïque et de grand parmi les hommes, c’est le succès d’une entreprise pareille à la vôtre. Etc.
Cela est fou. De qui Rousseau se moque-t-il ? Si l’éducation d’un seul petit bonhomme veut cette abnégation totale et ce travail herculéen de dix années, l’abbé M… n’a qu’à y renoncer. Peut-on avouer plus clairement qu’Émile n’est que le roman de l’éducation ?
Enfin, dans un journal sur le séjour de Jean-Jacques à Strasbourg en 1765, on lit ceci :
Monsieur Anga lui a rendu visite et lui a dit ; — Vous voyez, monsieur, un homme qui a élevé son fils selon les principes qu’il a eu le bonheur de puiser dans votre Émile. — Tant pis, monsieur, lui répondit Jean-Jacques ; tant pis pour vous et pour votre fils.
Mais Rousseau détruit encore mieux l’Émile par un autre roman dont il n’a écrit que deux chapitres et qui est intitulé : Émile et Sophie ou les Solitaires.
Émile et Sophie sont mariés. Ils ont un fils. Vous pensez que, pétris par Jean-Jacques, ils sont pour jamais sages et heureux. Mais ils viennent à Paris. Ils voient le monde. Ils se dissipent. Un jour Sophie se refuse à son mari. Cela dure plusieurs mois. Pressée de questions, elle finit par dire : « Arrêtez, Émile, et sachez que je ne vous suis plus rien : un autre a souillé votre lit, je suis enceinte, vous ne me toucherez de ma vie. »
Quoi ! cette Sophie si charmante et si bien élevée…