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Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/102

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Oui, je l’avais bien cru, qu’une âme si fidèle
Trouverait dans l’absence une peine cruelle ;
Et, si mes sentiments se doivent découvrir,
Je souhaitais, Hémon, qu’elle vous fît souffrir,
Et qu’étant loin de moi, quelque ombre d’amertume
Vous fît trouver les jours plus longs que de coutume.
Mais ne vous plaignez pas : mon cœur chargé d’ennui
Ne vous souhaitait rien qu’il n’éprouvât en lui…
Créon (acte III, scène VI) :

Des deux princes, d’ailleurs, la haine est trop puissante ;
Ne crois pas qu’à la paix jamais elle consente.
Moi-même je saurai si bien l’envenimer
Qu’ils périront tous deux plutôt que de s’aimer.
Les autres ennemis n’ont que de courtes haines :
Mais, quand de la nature on a brisé les chaînes,
Cher Attale, il n’est rien qui puisse réunir
Ceux que des nœuds si forts n’ont pas su retenir.
L’on hait avec excès lorsque l’on hait un frère,
Mais leur éloignement ralentit leur colère ;
Quelque haine qu’on ait contre un frère ennemi,
Quand il est loin de nous on la perd à demi.
Ne t’étonne donc plus si je veux qu’ils se voient :
Je veux qu’en se voyant leurs fureurs se déploient ;
Que, rappelant leur haine au lieu de la chasser,
Ils s’étouffent, Attale, en voulant s’embrasser…

Étéocle enfin (clairement et suffisamment différencié de Polynice, lequel est plus humain et d’ailleurs dans son droit) : — Acte IV, scène I :

Je ne sais si mon cœur s’apaisera jamais :
Ce n’est pas son orgueil, c’est lui seul que je hais.
Nous avons l’un et l’autre une haine obstinée.
Elle n’est pas, Créon, l’ouvrage d’une année ;
Elle est née avec nous ; et sa noire fureur
Aussitôt que la vie entra dans notre cœur.