Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/150

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Ainsi christianisée par une longue tradition (oh ! seulement un peu, puisque, à un moment, elle consent au suicide) ; pure, triste, fidèle, ne vivant plus que pour pleurer son mari et défendre son petit enfant ; — mais, parmi sa grande douleur, soucieuse de ne pas trop offenser Pyrrhus et— comme l’a dit Geoffroy le premier et, après lui, Nisard— d’une coquetterie vertueuse : voilà la trouvaille hardie de Racine.

Vous vous rappelez peut-être qu’il y eut, là-dessus, voilà quinze ans, grande querelle à la Comédie-Française, au Temps et au Journal des Débats. Des gens ne voulaient pas qu’Andromaque fût coquette : « Y songez-vous ? Ce Pyrrhus est le fils du meurtrier d’Hector ; il a massacré les parents d’Andromaque et incendié sa ville. Il y a un fleuve de sang entre eux deux : et vous voulez qu’elle « flirte » avec le bourreau de sa famille ? Racine s’est bien gardé d’une idée aussi indécente. » On répondait : « Nous ne prétendons point qu’Andromaque cherche expressément à troubler Pyrrhus. Mais enfin elle voit l’effet qu’elle produit sur lui, et il est naturel qu’elle en profite pour sauver son enfant. Que si le mot de « coquetterie », même « vertueuse » vous choque, nous dirons qu’Andromaque a du moins le sentiment de ce qu’elle est pour Pyrrhus et, sinon le désir de lui plaire, du moins celui de ne pas le désespérer tout à fait, de ne pas le pousser à bout, et même de ne pas lui déplaire. Il n’y a pas à aller