Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/164

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possible de pensées, de sentiments et de façons d’être en commun avec ces personnages que leur nom et leur légende placent si loin de nous. Il les tire donc à nous discrètement. Et je crois qu’il a raison. Mais, ce qui est sûr, c’est qu’il ne le fait pas par ignorance, comme des ignorants l’ont cru ; et son procédé n’est pas moins réfléchi et voulu que l’artifice opposé du Parnassien solennel et naïf. En somme, antique et même préhistorique par ses origines, dont le poète conserve soigneusement les traces ; grecque par la simplicité, la netteté, l’eurythmie ; moderne par la connaissance et l’expression totale des « passions de l’amour », Andromaque est la première de nos tragédies « où nous nous retrouvions tout entiers » (Brunetière), et avec notre âme d’aujourd’hui, et avec nos âmes héritées, celles des ancêtres de notre race. Ah ! le pur chef-d’œuvre que cette tragédie, que ce chaste drame d’héroïque piété conjugale et maternelle, entrelacé à ce terrible drame d’amour meurtrier ! Et puis Andromaque respire si bien l’ardente et charmante jeunesse du poète ! Il y montre l’audace et la sûreté d’un archer divin.— Pas un vers dans les rôles d’Hermione et d’Oreste qui n’exprime, en mots rapides et forts comme des coups d’épée, les illusions, les souffrances, l’égoïsme, la folie et la méchanceté de l’amour : en sorte qu’on y trouverait la psychologie complète de l’amour-