Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/193

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Racine fut ulcéré. Il avait fait un grand effort, et il savait bien ce que valait sa pièce. Il se défendit vigoureusement et sans ménager personne :

Que faudrait-il faire, dit-il dans sa première préface, pour contenter des juges si difficiles ? La chose serait aisée pour peu qu’on voulût trahir le bon sens. Il ne faudrait que s’écarter du naturel pour se jeter dans l’extraordinaire. Au lieu d’une action simple, chargée de peu de matière, qui se passe en un seul jour, et qui, s’avançant par degrés vers sa fin, n’est soutenue que par les intérêts, les sentiments et les passions des personnages, il faudrait remplir cette même action de quantité d’incidents qui ne pourraient se passer qu’en un mois, d’un grand nombre de jeux de théâtre d’autant plus surprenants qu’ils seraient moins vraisemblables, d’une infinité de déclamations où l’on ferait dire aux acteurs tout le contraire de ce qu’ils devraient dire.

Cela est pour les deux Corneille, pour Quinault, Boyer, Coras et quelques autres. Et voici qui est spécialement pour le grand Corneille :

Il faudrait, par exemple, représenter « quelque héros ivre, qui se voudrait faire haïr de sa maîtresse de gaieté de cœur » (et c’est Attila), « un Lacédémonien grand parleur » (et c’est Agésilas), « un conquérant qui ne débiterait que des maximes d’amour » (et c’est César dans la Mort de Pompée), « une femme qui donnerait des leçons de fierté aux conquérants » (et c’est Cornélie). Voilà sans doute de quoi faire récrier tous ces messieurs.

Et, à la fin de sa préface, Racine assimilait clairement Corneille au « vieux poète malintentionné » dont parle Térence dans le prologue de l’Andrienne