Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/203

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particulier. Il y a, sous ce grave discours tout plein du dogme chrétien, une sensibilité contenue, mais profonde. Henriette, avant de mourir, avait donné à Bossuet son crucifix. Bossuet a tenu à ce que ce détail familier, ce mouvement d’elle à lui, et qui le rapprochait d’elle encore plus, fût rappelé parmi l’austère solennité de l’oraison funèbre ; et il l’a rappelé, en effet, ce geste intime, dans une délicate parenthèse. Et ce n’est pas tout : il trouve, dans certain mystère hardi du dogme catholique, de quoi glorifier l’exquise princesse comme jamais femme n’a été glorifiée par aucun adorateur profane. Il affirme que Dieu a immolé des milliers de vies humaines et bouleversé tout un peuple pour qu’Henriette fût catholique.

Pour la donner à l’Église, il a fallu renverser tout un grand royaume. La grandeur de la maison d’où elle était sortie n’était pour elle qu’un engagement plus étroit dans le schisme de ses ancêtres… Mais, si les lois de l’État s’opposent à son salut éternel, Dieu ébranlera tout l’État pour l’affranchir de ces lois. Il met les âmes à ce prix ; il remue le ciel et la terre pour enfanter ses élus ; et comme rien ne lui est plus cher que ces enfants de sa dilection éternelle, que ces membres inséparables de son Fils bien-aimé, rien ne lui coûte, pourvu qu’il les sauve.

« Il met les âmes à ce prix. » Les âmes ? Non pas toutes ; il n’y aurait pas moyen. Mais celle-là, oui : et qui osera dire qu’elle n’en valait pas la peine ? Voilà ce que je voudrais pouvoir appeler —