Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/226

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Il ne me paraît point que Bajazet soit un personnage aussi pâle qu’on l’a dit quelquefois.— Il est de son pays et de sa race, lui aussi, par quelques côtés : ainsi il veut bien mentir jusqu’à un certain point, — et il a le mépris absolu de la mort. Mais il n’est Turc qu’à moitié, et c’est ce qui le perd, — et c’est aussi ce qui rend son caractère très attachant. S’il était tout à fait de chez lui, il mentirait jusqu’au bout, il épouserait Roxane sans hésitation, — quitte à la faire coudre après dans un sac, — et il n’aimerait pas Atalide de cet amour chaste, délicat, profond, immuable.

Mais les mœurs du harem lui sont odieuses, et la passion farouche et toute sensuelle de la sultane lui répugne. Il compare cette bête voluptueuse, qui halète de désir autour de lui, à sa petite compagne d’enfance, à la gracieuse et modeste princesse Atalide. Il est évidemment spiritualiste et monogame. Il faut avouer que Racine l’a beaucoup tiré à nous.

Mais alors, dira-t-on, qu’il soit tout à fait vertueux ! Ce pur jeune homme n’en joue pas moins, avec l’impure sultane, un rôle d’une fâcheuse duplicité et qui lui donne une assez plate allure.— Mais d’abord, cette duplicité se borne à des réticences et à des silences : il laisse Roxane croire ce qu’elle veut.— C’est pire, réplique-t-on.— Attendez ; voici par où Bajazet se relève. Cette dissimulation aurait quelque chose d’assez bas s’il s’y pliait par crainte de la mort. Mais la mort, comme j’ai dit, il n’en