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Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/260

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Pour Hippolyte et pour Aricie, je n’ai pas besoin de dire à quel point ils sont contemporains de Racine. Ils le sont même un peu trop, vraiment : et malgré moi, je regrette le farouche et beau chasseur d’Euripide. Mais peut-être Racine n’a-t-il pas senti la beauté de la chasteté masculine. Ou plutôt, il a craint les railleries des hommes de son temps, qui n’auraient pas compris. Par un renversement singulier, il a fait une Phèdre chaste et un Hippolyte amoureux.

Mais, tandis qu’il rajeunissait les personnages, il a conservé intacte leur généalogie et tous les détails de l’antique légende. D’où les plus surprenants contrastes. Cette Phèdre chrétienne du XVIIe siècle et d’aujourd’hui est fille de Minos et de Pasiphaé et petite-fille du Soleil. Cette coquette et fringante Aricie, si spirituelle et si avisée, et qui ne veut s’enfuir avec Hippolyte que « la bague au doigt », est l’arrière-petite-fille de la Terre. Et toutes deux citent leurs ascendants avec tranquillité. On nous parle de Scirron, de Procuste, de Sinnis et du Minotaure. On nous rappelle que le mari de Phèdre est allé un beau jour, dans le Tartare, « déshonorer la couche » de Pluton. Nous sommes dans un monde où les dieux tiennent des monstres à la disposition de leurs amis, et où la mer vomit d’énormes serpents à tête de taureau. Certains vers nous révèlent subitement que ces personnages, qui tout à l’heure nous semblaient si proches, appartiennent à