Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/324

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la folie. La tragédie racinienne (mettons à part Esther et Athalie) n’est pas idéaliste, pas optimiste, pas édifiante, pas morale. Nous avons vu qu’il n’y a dans les caractères nul christianisme prémédité. Ils n’ont de chrétien, que ce que le poète, produit lui-même d’une civilisation chrétienne, en a fait couler en eux sans le savoir.

La tragédie de Racine n’est chrétienne que dans La mesure où peuvent passer pour chrétiennes les Réflexions ou Sentences et Maximes morales de La Rochefoucauld.

Ce qu’elles contiennent, dit La Rochefoucauld dans son Avis au lecteur, n’est autre chose que l’abrégé d’une morale conforme aux pensées de plusieurs Pères de l’Église, et celui qui les a écrites a eu beaucoup de raison de croire qu’il ne pouvait s’égarer en suivant de si bons guides, et qu’il lui était permis de parler de l’homme comme les Pères en ont parlé.

Racine aussi, par des voies différentes, étudie et montre l’homme naturel, l’homme sans la grâce ou avant la grâce, et s’en tient là. Il accepte la thèse pessimiste chrétienne, mais en la coupant de tout le reste du dogme chrétien. Et c’est pourquoi ses tragédies sont terribles. Au reste, avec leur mélange de créatures fières et douces et de monstres sans frein, elles correspondent assez exactement à l’image totale de cette haute société du XVIIe siècle pour qui elles étaient surtout faites, et dont la politesse extérieure recouvrait une vie passionnelle extrêmement énergique, et souvent