Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/48

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Aujourd’hui un jeune poète, même très bien doué, met des années, s’il a de la chance, à parvenir à un commencement de notoriété. Même un volume imprimé chez Lemerre, même un prix de l’Académie (à qui l’on a présenté l’an dernier plus de deux cents volumes de vers) n’avancent pas beaucoup les affaires du malheureux débutant. Mais Jean Racine, à vingt ans, écrit, à propos du mariage du roi, une ode intitulée : la Nymphe de la Seine à la reine. Il la fait porter par son cousin Vitart à Chapelain et à Perrault, qui étaient assez amis de Port-Royal. Chapelain était une vieille bête très estimée et d’une grande autorité ; d’ailleurs bon humaniste, et assez judicieux dans le détail. Chapelain, après examen, rendit cet arrêt : « L’ode est fort belle, fort poétique, et il y a beaucoup de stances qui ne se peuvent mieux. Si l’on repasse ce peu d’endroits marqués, on en fera une belle pièce. » La plus considérable de ces remarques portait sur des Tritons que Racine avait logés dans la Seine, et qui, paraît-il, n’ont le droit d’habiter que dans la mer. Racine corrigea ; Chapelain parla à Colbert ; et « ce ministre envoya au jeune poète cent louis de la part du roi, et peu après le fit mettre sur l’état pour une pension de six cents livres en qualité d’homme de lettres » . Voilà évidemment des débuts faciles.

Ce n’est pas que cette ode soit un chef-d’œuvre. Elle est encore un peu dans le goût du temps ; elle en garde le vocabulaire ; trop d’astres, de soleils, de