Page:Lemaître - Jean Racine, 1908.djvu/67

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de la chute, la vie terrestre n’ayant de sens que par rapport à l’autre vie, la peur et le mépris de la chair. Or, la pensée de l’autre vie a changé l’aspect de celle-ci, a provoqué des sacrifices, des résignations, des songes ; des espérances et des désespoirs inconnus auparavant. La femme, devenue la grande tentatrice, le piège du diable, a inspiré des désirs et des adorations d’autant plus ardents, et a tenu une bien autre place dans le monde. La malédiction jetée à la chair a dramatisé l’amour. Il y a eu des passions nouvelles : l’amour de Dieu considéré à la fois comme un idéal et comme une personne, la haine paradoxale de la nature, la foi, la contrition. Il y a eu des conflits nouveaux de passions et de croyances, une complication de la conscience morale, un approfondissement de la tristesse, un enrichissement de la sensibilité.

La tradition grecque donnera à Racine la mesure, l’harmonie, la beauté. Elle lui offrira des peintures de passions fortes et intactes. Elle lui fournira quelques-uns de ses sujets et quelques-unes de ses héroïnes. Et Racine, souvent, leur prêtera une sensibilité morale venue du christianisme. Il fera des tragédies qui secrètement embrassent et contiennent vingt-cinq siècles de culture et de sentiment.

Chose bien remarquable, Racine avait eu, dès son séjour à Port-Royal, ce souci de concilier deux traditions qui lui étaient presque également chères. À