Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/112

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ou la beauté cachées sous la médiocrité et la platitude extérieure. Rien de plus humain que cette poésie, où les détails les plus mesquins deviennent comme les signes de la beauté cachée ou du drame secret d’une vie et parlent un langage attendrissant.

Le poète, est-il besoin de le dire ? nous raconte ces histoires en des vers d’une singulière souplesse, qui savent exprimer tout sans s’alourdir ni s’empêtrer, qui marchent franchement par terre et qui pourtant ont des ailes. Veut-on un exemple de cette curieuse poésie, si proche de la prose, et qui est encore de la poésie par la vertu du rythme et par le sentiment qui est au fond ? Je l’emprunte à la pièce intitulée Un fils, une des plus simples et des plus unies.

Le « bon fils », employé le jour dans un bureau, joue du violon le soir dans un petit café-concert de la barrière :

  Dans les commencements qu’il fut à son orchestre,
  Une chanteuse blonde et phtisique à moitié
  Sur lui laissa tomber un regard de pitié ;
  Mais il baissait les yeux quand elle entrait en scène.
  Puis, peu de temps après, elle passa la Seine
  Et mourut, toute jeune, en plein quartier Bréda.
  À vrai dire, il l’avait presque aimée et garda
  Le dégoût d’avoir vu — chose bien naturelle —
  Les acteurs embrassés et tutoyés par elle.
  Et son métier lui fut plus pénible qu’avant.

  Or l’état de sa mère allait en s’aggravant.
  Une nuit vint la mort, triste comme la vie,
  Et, quand à son dernier logis il l’eut suivie,
  En grand deuil et traînant le cortège obligé