Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/149

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prendrions le cœur et la tête d’un Athénien : alors ce ne serait plus nous. Mais je suppose que nous, tels que nous sommes, nous nous trouvions transportés dans la ville ressuscitée de Pallas-Athènè et contraints à vivre de la vie de ses citoyens : croyez-vous que nous y serions bien à notre aise ? Trop de choses nous manqueraient : le foyer, le chez soi, le luxe, le confort, l’intimité de la vie et tous les plaisirs et tous les sentiments qui dérivent de la position des femmes dans la société moderne : la courtoisie, la galanterie, et certaines idées et certaines délicatesses. Il faudrait vivre toujours dehors, toujours dans la rue ou sur la place publique, toujours juger, toujours voter, toujours s’occuper de la politique, et cependant ne pas faire œuvre de ses dix doigts. Et l’on serait fort peu libre de penser à sa guise, témoin Socrate, et exposé en outre au chagrin d’assister à des sacrifices humains (on en fit avant Salamine). Ces petits ennuis seraient compensés, me dira-t-on, par le plaisir de ne vivre qu’avec des hommes intelligents, tous beaux, tous connaisseurs, tous artistes. « Il y a eu, dit M. Renan, un peuple d’aristocrates, un public tout entier composé de connaisseurs, une démocratie qui a saisi des nuances d’art tellement fines que nos raffinés les aperçoivent à peine[1]. » M. Renan, qui doute de tant de choses, a l’air de n’en pas douter. Pourtant Thucydide et les orateurs me

  1. Souvenirs d’enfance et de jeunesse.