Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/160

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avons convié les autres peuples à la fraternité universelle ; nous savons ce que coûtent ces générosités ; nous devons aimer la patrie d’un amour étroit, exclusif, l’aimer à la façon des anciens. Le patriotisme de la Crétoise Ida et de Pascal Mamert a les ardeurs, la jalousie et l’intolérance d’une religion. Mais vraiment ils s’y appliquent trop. C’est que nous avons beau faire : nous voulons désormais être patriotes à la façon d’un Athénien, d’un Spartiate ou d’un Romain de la république ; mais, puisque nous le voulons, c’est donc que nous ne sommes pas ainsi naturellement. Une chose nous distingue des autres peuples : nous aimerions mieux ne pas les haïr. Nous ne concevons la haine que comme l’envers d’un devoir de justice, de pitié et d’honneur. Et ce n’est pas notre faute. Pour ne nous comparer qu’aux Grecs chers à Mme Juliette Lamber, on n’aime pas un pays qui a fait la Révolution (oeuvre bonne, il est trop tard du reste pour en douter) de la même façon qu’on aime une petite cité où rien ne pallie le droit du plus fort et qui compte l’esclavage parmi ses institutions. Ajoutez qu’on n’aime pas non plus un pays de trente-cinq millions d’hommes de la même manière qu’un État de dix mille citoyens. Un de nos officiers tomberait dans d’autres Thermopyles avec autant d’héroïsme que les soldats de Léonidas : je crois qu’il aurait peut-être, en tombant, des pensées que les Spartiates ni même les Athéniens n’ont point connues ; qu’il obéirait à des raisons plus idéales, et que, son