Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/163

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— Ce qui me plaît dans le paganisme, vint à dire Gautier, c’est qu’il n’a pas de morale.

— Comment ! pas de morale ? fit M. Chenavard. Et Socrate ? et Platon ? et les philosophes ?…

— Comment ! les philosophes ? répliqua M. Ménard. Ce sont eux qui ont corrompu la pureté de la religion hellénique !

C’est plutôt au sentiment de M. Louis Ménard que se rangerait Mme Juliette Lamber : « Je suis païenne, dit Madeleine à son cousin de Venise ; mais la raison qui vous rattache à la poésie de l’Église primitive est la même qui me fait n’accepter du paganisme que les croyances du premier temps de la Grèce[1]. »

Et je crois bien que c’est, en effet, M. Louis Ménard qui a raison, et aussi Théophile Gautier, à le bien entendre. Tout ce vague paganisme ne prend un sens un peu net que par opposition au christianisme, à la conception chrétienne de l’homme et de la vie, à l’esprit de la morale chrétienne. Or l’essence de cette morale, ce qui lui est propre et la distingue de la morale naturelle, c’est assurément le mépris du corps, la haine et la terreur de la chair. La Bruyère a une remarque qui va loin : « Les dévots ne connaissent de crimes que l’incontinence[2]. » Le sentiment opposé est éminemment païen. Dans le langage du peuple, « vivre en païen » (et le mot n’implique pas toujours une réprobation sérieuse et se prononce parfois avec

  1. Jean et Pascal, p. 164.
  2. De la mode.