Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/218

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peut-être moins à plaindre, précisément parce qu’on le plaignait moins.

Je veux bien, du reste, accorder aux âmes faibles qu’il ne suffit pas toujours de vouloir pour être heureux. La vie, en somme, n’a pas trop mal servi M. Renan, l’a passablement aidé à soutenir sa gageure ; et il en remercie gracieusement l’obscure « cause première » à la fin de ses Souvenirs. Tous ses rêves se sont réalisés. Il est de deux Académies ; il est administrateur du Collège de France ; il a été aimé, nous dit-il, des trois femmes dont l’affection lui importait : sa sœur, sa femme et sa fille ; il a enfin une honnête aisance, non en biens-fonds, qui sont chose trop matérielle et trop attachante, mais en actions et obligations, choses légères et qui lui agréent mieux, étant des espèces de fictions, et même de jolies fictions. — Il a des rhumatismes. Mais il met sa coquetterie à ce qu’on ne s’en aperçoive point ; et puis il ne les a pas toujours. — Sa plus grande douleur a été la mort de sa sœur Henriette ; mais le spectacle au moins lui en a été épargné et la longue et terrible angoisse, puisqu’il était lui-même fort malade à ce moment-là. Elle s’en est allée son oeuvre faite et quand son frère n’avait presque plus besoin d’elle. Et qui sait si la mémoire de cette personne accomplie ne lui est pas aussi douce que le serait aujourd’hui sa présence ? Et puis cette mort lui a inspiré de si belles pages, si tendres, si harmonieuses ! Au reste, s’il est vrai que le bonheur est sou-