Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/28

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La rime est l’unique harmonie des vers et elle est tout le vers… On n’entend dans un vers que le mot qui est à la rime… Si vous êtes poète, vous commencerez par voir distinctement dans la chambre noire de votre cerveau tout ce que vous voudrez montrer à votre auditeur et, en même temps que les visions, se présenteront spontanément à votre esprit les mots qui, placés à la fin du vers, auront le don d’évoquer ces mêmes visions pour vos auditeurs… Si vous êtes poète, le mot type se présentera à votre esprit tout armé, c’est-à-dire accompagné de sa rime… Ceci est une loi absolue, comme les lois physiques : tant que le poète exprime véritablement sa pensée, il rime bien ; dès que sa pensée s’embarrasse, sa rime aussi s’embarrasse, traînante et vulgaire, et cela se comprend du reste, puisque pour lui pensée et rime ne sont qu’un… Le reste, ce qui n’a pas été révélé, trouvé ainsi, les soudures, ce que le poète doit rajouter, pour boucher les trous avec sa main d’artiste et d’ouvrier, est ce qu’on appelle les chevilles… Il y a toujours des chevilles dans tous les poèmes.


Voilà qui est explicite et radical. La poésie est un exercice de bouts-rimés, mais de bouts-rimés choisis par le poète au moment de l’inspiration — et reliés par des chevilles, mais par des chevilles intelligentes.

La rime est si bien, pour M. de Banville, « tout le vers », qu’il abolit, afin qu’elle reste toute seule sur les décombres de l’alexandrin, les antiques et vénérables règles du rythme, et qu’il supprime le repos même de l’hémistiche, si normal, si légitime, si nécessaire (à de certaines conditions qu’il serait trop long de déterminer). Et cela lui permet d’écrire avec une liberté tout olympienne :