Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/340

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l’art. Si l’art est « l’homme ajouté à la nature » ou « la réalité vue à travers un tempérament », l’artificiel sera le dernier degré de cette transformation de la réalité. Ou bien l’artificiel, c’est le contraire du naturel entendu au sens ordinaire ; c’est donc le désir maladif de ne pas ressembler aux autres, de ne rien faire comme eux, la recherche de la distinction à tout prix. Ou bien encore l’artificiel, c’est simplement l’illusion de la réalité produite par des procédés surtout mécaniques. Les automates, les musées de cire, voilà de l’artificiel. Dans ce dernier sens, l’artificiel est ce qu’il y a de plus opposé à l’art.

Eh bien ! j’ai peur que des Esseintes, qui entend souvent l’artificiel dans les deux premiers sens que j’ai indiqués, ne l’entende aussi quelquefois dans le dernier. Sa salle à manger-cabine, avec son aquarium aux poissons mécaniques, ne dirait-on pas une fantaisie de bourgeois en délire ? Il y a du Pécuchet dans des Esseintes. Pécuchet et Bouvard, eux aussi, aiment l’artificiel : qu’on se rappelle leur jardin.

Et avec tout cela cette figure falote de des Esseintes reste intéressante. Serait-elle plus vraie et plus générale que je ne l’avais cru ? Après tout, des Esseintes, c’est peut-être en effet Werther éreinté, fourbu, névrosé, avec une maladie d’estomac et quatre-vingts années de littérature en plus. Et il y a dans son cas, quoique poussé jusqu’à la plus folle outrance, quelque chose que nous comprenons. Oui, parfois on est las de l’art et de la littérature, dégoûté des chefs-d’œuvre,