Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/347

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gneux qui veulent ignorer M. Ohnet et le sentiment contraire des quelques millions de bonnes gens qu’il comble de plaisir s’expliquent exactement par les mêmes raisons. Le cas de l’auteur des Batailles de la vie est clair, tranché, instructif, et c’est pour cela que nous nous y arrêtons.

Jamais, en effet, on n’a pu constater un départ plus net entre le « peuple » et les « habiles », au sens où La Bruyère employait ces deux mots. On voit avec une clarté qui ne laisse rien à désirer pourquoi ces romans exaspèrent les uns et ravissent les autres, et l’on est bien sûr que ceux-ci les aiment à cause de ce qui est dedans. Tous les fidèles de M. Georges Ohnet le comprennent et le goûtent tout entier. Le fait est plus rare qu’on croit et vaut qu’on le signale. On ne le retrouverait qu’à l’autre extrémité de la littérature, si je puis dire, avec Leconte de Lisle, Sully-Prudhomme et Anatole France : là encore le partage est net entre les délicats et les autres, mais à l’inverse. Les admirateurs de Silvestre Bonnard sont tout aussi sûrs de leur sentiment que ceux du Maître de forges : seulement ce ne sont pas les mêmes, et ceux-ci sont un million et ceux-là sont au plus un millier. Voyez maintenant, pour éclaircir tout ceci, un cas plus complexe et très différent. Prenez les romanciers les plus lus après M. Georges Ohnet, ce triomphateur unique : je veux dire Émile Zola et Alphonse Daudet. Pensez-vous que les neuf dixièmes de leurs lecteurs les aiment pour eux-mêmes et les comprennent entiè-