Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/353

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Voici le jeune premier, le roturier génial et héroïque : un beau brun, teint ambré, cheveux courts, barbe drue, longs yeux, larges épaules, voix de cuivre. Il est sorti premier de l’École polytechnique et « il s’est fait tout seul ». Il est fier, il est vertueux, il est désintéressé, il est fort. La passion, chez lui, est brûlante et contenue ; il flambe en dedans, ce qui est le comble de la distinction. S’il est avocat par-dessus le marché, ses phrases « se balancent comme des fumées d’encens ». Philippe Derblay, Pierre Delarue, Séverac, Pascal Carvajan sont taillés sur ce patron. C’est l’idéal du héros bourgeois, c’est-à-dire l’ancien héros romantique pourvu de diplômes, muni de mathématiques et de chimie et ne rêvant plus tout haut : un paladin ingénieur, un Amadis des ponts et chaussées, l’archange de la démocratie laborieuse. D’innombrables petites bourgeoises, à Paris comme en province, l’ont vu passer dans leurs songes, et peut-être l’aiment-elles d’autant plus que c’est presque toujours aux grandes dames que le gaillard en veut. « Voyez-vous, dit le père Moulinet à deux reprises, nous autres bourgeois nous ne serons jamais les égaux des nobles. » Et toujours ces Bénédicts de l’École centrale finissent par dompter les duchesses, ce dont le tiers état est considérablement flatté et dans son orgueil et dans sa superstition.

Et voici la jeune fille noble, généralement blonde, « la taille admirablement développée », « d’une incomparable beauté », fière, hautaine, dédaigneuse. Elle