Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/51

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fille, « les baisers fuyants risqués aux chatons des bagues » (Jours lointains), et plus tard, quand l’enfant a grandi, ses multiples et secrètes amours (Un sérail), puis la première passion et ses délicieux commencements (le Meilleur moment des amours), et la grâce et la pureté de la vraie jeune fille, puis la grande douleur quand la bien-aimée est aux bras d’un autre (Je ne dois plus), et l’obsession du cher souvenir :

 … Et je la perds toute ma vie
  En d’inépuisables adieux.
  Ô morte mal ensevelie,
  Ils ne t’ont pas fermé les yeux.

Le poète, à l’affût de ses impressions, les aiguise et les affine par la curiosité créatrice de ce regard intérieur et parvient à de telles profondeurs de tendresse, imagine des façons d’aimer où il y a tant de tristesse, des façons de se plaindre où il y a tant d’amour, et trouve pour le dire des expressions si exactes et si douces à la fois, que le mieux est de céder au charme sans tenter de le définir. N’y a-t-il pas une merveilleuse « invention » de sentiment dans les stances de Jalousie et dans celles-ci, plus exquises encore :

  Si je pouvais aller lui dire :
  « Elle est à vous et ne m’inspire
  Plus rien, même plus d’amitié ;
  Je n’en ai plus pour cette ingrate.
  Mais elle est pâle, délicate.
  Ayez soin d’elle par pitié !