Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/81

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  Nous prospérons ! Qu’importe aux anciens malheureux,
  Aux hommes nés trop tôt, à qui le sort fut traître,
  Qui n’ont fait qu’aspirer, souffrir et disparaître,
  Dont même les tombeaux aujourd’hui sonnent creux !

  Hélas ! leurs descendants ne peuvent rien pour eux,
  Car nous n’inventons rien qui les fasse renaître.
  Quand je songe à ces morts, le moderne bien-être
  Par leur injuste exil m’est rendu douloureux.

  La tâche humaine est longue, et sa fin décevante.
  Des générations la dernière vivante
  Seule aura sans tourment tous ses greniers comblés.

  Et les premiers auteurs de la glèbe féconde
  N’auront pas vu courir sur la face du monde
  Le sourire paisible et rassurant des blés.

Voilà qui infirme l’optimisme des dernières pages. Ce sont elles qu’il faudrait intituler Silence au cœur ! car c’est l’optimisme qui est sans coeur. Il est horrible que nous concevions la justice et qu’elle ne soit pas dès maintenant réalisée. Mais, si elle l’était, nous ne la concevrions pas. Après cela, on ne vivrait pas si on songeait toujours à ces choses. Le poète, pour en finir, veut croire au futur règne de la justice et prend son parti de toute l’injustice qui aura précédé. Que ne dit-il que cette solution n’en est pas une et que cette affirmation d’un espoir qui suppose tant d’oublis est en quelque façon un coup de désespoir ? Il termine, comme il a coutume, par un appel à l’action ; mais c’est un remède, non une réponse.

Tel qu’il est, j’aime ce poème. La forme est d’une symétrie compliquée. Dans les sept premières Veilles, à chaque sonnet du « chercheur », des « voix », celles