Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/111

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que Jeanne se marierait si vite… Et que dites-vous de ce petit discours à Jeanne :

Jeanne, écoutez-moi encore. Vous vous êtes fait jusqu’ici bien venir de ma gouvernante, qui, comme toutes les vieilles gens, est assez morose de son naturel. Ménagez-la. J’ai cru devoir la ménager moi-même et souffrir ses impatiences. Je vous dirai, Jeanne : Respectez-la. Et, en parlant ainsi, je n’oublie pas qu’elle est ma servante et la vôtre : elle ne l’oubliera pas davantage. Mais vous devez respecter en elle son grand âge et son grand cœur. C’est une humble créature qui a longtemps duré dans le bien ; elle s’y est endurcie. Souffrez la roideur de cette âme droite. Sachez commander ; elle saura obéir. Allez, ma fille ; arrangez votre chambre de la façon qui vous semblera le plus convenable pour votre travail et votre repos.

Et cette invocation si belle :

D’où vous êtes aujourd’hui, Clémentine, dis-je en moi-même, regardez ce cœur maintenant refroidi par l’âge, mais dont le sang bouillonna jadis pour vous, et dites s’il ne se ranime pas à la pensée d’aimer ce qui reste de vous sur la terre. Tout passe puisque vous avez passé ; mais la vie est immortelle : c’est elle qu’il faut aimer dans ses figures sans cesse renouvelées. Le reste est jeu d’enfant, et je suis avec tous mes livres comme un petit enfant qui agite des osselets. Le but de la vie, c’est vous, Clémentine, qui me l’avez révélé.

Est-ce ma faute enfin si je ne puis lire les dernières pages du Crime de Sylvestre Bonnard sans un grand désir de pleurer ?