Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/165

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espèce. En tout cas, je n’appellerai jamais « sensibilité à fleur de peau »[1] la sensibilité de l’auteur d’Andromaque. De ce que le poète aime et sent plus de choses, en conclurons-nous qu’il les sente moins fort ? Le développement de la conscience psychologique emporte une certaine maîtrise de soi, mais non point peut-être une diminution de souffrance. Que si pourtant cette diminution s’ensuivait, pourquoi donc faudrait-il le regretter ? En vérité, il n’est point si nécessaire de souffrir ! Plût au ciel que tous les hommes fussent artistes et poètes, s’ils devaient être ainsi moins malheureux !

Si Racine n’a pas trop cruellement souffert dans sa vie si tourmentée, tant mieux pour lui ! Et si sa souffrance s’est dissipée en chefs-d’œuvre, s’il a été insensible et dur au point d’écrire Phèdre et Bajazet, tant mieux pour nous !


II

M. Deschanel étudie particulièrement « la complexion d’éléments contraires » que nous offrent les tragédies de Racine, et c’est là qu’il voit surtout son originalité. Dans ces pièces il y a trois choses : « 1º le sujet ancien imité, qui était formé déjà d’éléments divers ; 2º les mœurs et les sentiments modernes combinés avec ce sujet ancien ; 3º sous les formes

  1. I, p. 61.