Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/176

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invocation d’Hippolyte à Artémis, ce chant vraiment pieux et dont le ton rappelle celui des cantiques à la sainte Vierge : «…Ô ma souveraine, je t’offre cette couronne cueillie et tressée de mes mains dans une fraîche prairie, que jamais le pâtre et ses troupeaux ni le tranchant de fer n’ont osé toucher, où l’abeille seule au printemps voltige, et que la Pudeur arrose de ses eaux limpides, etc. » Cette image (la Pudeur et ses eaux limpides), M. Deschanel la déclare « étincelante de fraîcheur romantique »[1]. Pourquoi romantique ? Est-ce parce que l’image est incohérente ? J’avoue d’ailleurs qu’ici mon admiration hésite : qu’est-ce que les eaux de la Pudeur ? Pour un peu, je me rangerais au sentiment des érudits qui veulent lire Ηὡς au lieu de Αἱδὡς. Les pleurs de l’Aurore, c’est devenu bien banal ; mais ce ne l’a pas toujours été, et au moins cela s’entend.

Esther, histoire de sérail, conte des Mille et une nuits, conte naïf, sanglant et par endroits sensuel, transformé par Racine en une tragédie élégiaque et pieuse, propre à être jouée dans un couvent par de petites pensionnaires, est assurément une œuvre singulière, étrangement complexe, avec ses « couleurs contrariées et harmoniques » comme dans un « merveilleux tapis d’Orient copié par les Gobelins »[2]. Mais enfin la variété des éléments d’une œuvre et le romantisme, est-ce donc une seule et même chose[3] ?

  1. II, p. 70.
  2. II, p. 189.
  3. II, p. 205.