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LECONTE DE LISLE.


lumière ». La nuit, il rôdait, voulant y rentrer et sourd aux insultes de l’archange.


Ténèbres, répondez ! Qu’Iavèh me réponde !
Je souffre, qu’ai-je fait ? — Le Khéroub dit : Kaïn,
Iavèh l’a voulu. Tais-toi. Fais ton chemin
Terrible. — Sombre esprit, le mal est dans le monde ;
Oh ! pourquoi suis-je né ? — Tu le sauras demain.


Pour le punir, Iavèh l’aveugle « le précipite dans le crime tendu », lui fait, dans un accès de fureur, tuer son frère, qu’il aimait pourtant.


Dors au fond du Schéol ! Tout le sang de tes veines,
Ô préféré d’Héva, faible enfant que j’aimais,
Ce sang que je t’ai pris, je le saigne à jamais !
Dors, ne t’éveille plus ! Moi, je crierai mes peines,
J’élèverai la voix vers Celui que je hais.


Kaïn se vengera et il vengera les hommes. Quand « assouvi de son rêve », Dieu voudra détruire la race humaine par le déluge, Kaïn la sauvera. Le poète (et ceci a tout l’air d’une trouvaille de génie) veut que l’arche ait été construite malgré Jéhovah et que Kaïn, son Kaïn immortel et symbolique, l’ait empêchée de sombrer. — L’homme, continue le vengeur, couvrira de nouveau la terre, non plus indompté, mais lâche et servile.


Dans les siècles obscurs l’homme multiplié
Se précipitera sans halte ni refuge,
À ton spectre implacable horriblement lié.