Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/243

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dramatique se rencontre en la naïve peinture des vices et des vertus, qui ne manque jamais son effet quand elle est bien achevée et que les traits en sont si reconnaissables qu’on ne peut les confondre l’un dans l’autre ni prendre le vice pour la vertu. Celle-ci se fait alors toujours aimer, quoique malheureuse, et celui-là se fait toujours haïr, bien que triomphant. » Le public, au moins dans le drame et dans la comédie sérieuse, entend que le bien ou le mal domine clairement dans la composition d’un caractère (et, à vrai dire, il goûte peu les caractères trop complexes). S’il n’oblige pas le poète à louer ou à flétrir directement les bons ou les méchants, il lui demande au moins de faire bien sentir qu’il les distingue : il ne lui permet pas l’indifférence complète. Il n’aime pas que le poète refuse de se prononcer sur la valeur morale de ses personnages ; il est heureux de les entendre qualifier explicitement au courant de l’action. Si le vice triomphe, il faut au moins au public quelque cri qui le soulage, et, si ce cri est une tirade, le public exultera. L’axiome très défendable « que l’art doit rester étranger à la morale » (car c’est assez qu’il cherche le beau), n’est pas tout à fait vrai au théâtre, parce que rien n’est moins artiste qu’une grande foule.

Le public n’est pas philosophe ; il n’a pas coutume de considérer la vie comme une lutte de forces contraires, en ne s’intéressant qu’au spectacle de la lutte, non à telle ou telle des forces en présence. Il a besoin d’aimer, dans un drame, un ou plusieurs personnages,