Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/254

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à genoux devant un Raphaël. Il y a dans la blague un certain mépris, très légitime d’ailleurs, pour les admirations convenues, pour les phrases toutes faites ; et à ce mépris se joint le plaisir de crever les ballons gonflés de vent, de se sentir supérieur en se prouvant qu’on n’est pas dupe.

C’est le bon côté de la blague. Mais elle en a de fâcheux : la blague donne à l’esprit l’habitude de ne plus compter avec le vrai ni avec le faux, de chercher partout matière à raillerie. Il arrive fort souvent que le blagueur de profession, pris à son propre piège, ne distingue plus lui-même ce qui est bien de ce qui est mal, ce qui est juste de ce qui est inique ; il se grise de sa propre parole, il se fausse l’esprit et se dessèche le cœur.

Cette sorte d’esprit a de tout temps existé en France. Elle s’est aiguisée, exaspérée dans les premières années du second Empire.

Le vrai créateur de l’opérette fut M. Hervé ; les maîtres, Offenbach et MM. Meilhac et Halévy. Ici se place un très fin et très brillant parallèle entre la musique de la Dame Blanche, chère à nos grands-pères, et celle d’Orphée aux enfers, entre les sentiments que ces deux musiques expriment ou éveillent. Je ne puis me retenir de citer un passage de ce feuilleton, vraiment enlevé :

Comparez, pour voir, toute cette partition de Boïeldîeu à ce fameux quadrille d’Orphée aux enfers qui a emporté dans son tourbillon frénétique toute notre génération. Vous l’entendez chanter à votre oreille, n’est-ce pas ? Est-ce qu’aux premiers sons de cet orchestre il ne vous semble pas voir toute une société se levant d’un bond et se ruant à la danse ?