Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/259

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son sens le vieil axiome que « l’homme est la mesure des choses », on pourrait dire que chaque critique est lui-même la mesure des œuvres qu’il apprécie ; car, quoiqu’on fasse, une œuvre est bonne, ou mauvaise selon qu’elle plaît ou déplaît à celui qui la juge. Malgré cela, il peut se rencontrer tel système de critique, tel ensemble de jugements qui vaille pour d’autres encore que pour celui qui les a formulés, qui « fasse autorité », comme on dit. Mais il y faut, je crois, deux conditions.

Le critique, d’abord, doit avoir ou se donner les sentiments, la disposition d’esprit de la majorité des « honnêtes gens » et des lettrés — ou même de la foule dans certains cas où la foule est compétente, — en sorte que sa mesure particulière ait des chances d’être aussi celle du grand nombre. Mais surtout, s’il est vrai qu’il ne puisse appliquer aux ouvrages de l’esprit une autre mesure que la sienne, il faut du moins qu’il n’en ait qu’une ; car, s’il en a plusieurs, il n’en a plus. Un bon critique n’a point de lubies ; il se défie des caprices, des impressions d’une heure ; il ne change pas d’aune et de toise comme de chemise. En mesurant une œuvre, il se souvient de toutes celles qu’il a déjà mesurées : il porte en lui une sorte d’étalon immuable. Il demeure le même en face des œuvres multiples qui lui sont soumises : et c’est pour cela que l’on comprend les raisons de tous ses jugements et qu’ils peuvent former un corps de doctrine.

Or il s’en faut que la critique de M. Weiss observe