cuisses ; deux cygnes l’éventent de leurs
ailes et un açvatha l’abrite de ses palmes ; mais les Védas bourdonnent
sur ses lèvres, des forêts de bambous verdoient à ses reins, des lacs
étincellent dans ses paumes et son souffle fait rouler les mondes qui
jaillissent de lui pour s’y replonger ; si bien que sa vue délecte les
sens en même temps que son immensité fatigue et dépasse le plus vaste
essor du rêve et que son essence exerce la pensée jusqu’à l’engloutir et
l’annihiler. Tandis qu’il songe le monde, tandis qu’il nous ravit par la
grâce des mille vierges qui se baignent à ses pieds parmi les lotus et
qu’il nous épouvante par le grincement des dents du géant pourpre qui à
sa gauche broie et dévore l’univers ; tandis que sa seule inertie est la
source de l’Être, qu’il s’incarne dans les héros, que les sages rentrent
dans son sein par l’inaction, — lui se demande tranquillement s’il ne
serait pas le Néant. Comprenne qui pourra ! Qu’importe ? il ne faut pas
comprendre. Rien n’a de substance ni de réalité ; toute chose est le rêve
d’un rêve ; et la Vision de Brahma est un obscur poème qu’il faut lire
sous le poids d’un grand soleil, quand la tête se vide, quand la
mémoire fuit, quand la volonté se dissout, quand on reçoit des objets
voisins des impressions si intenses qu’elles tuent la pensée, quand on
sent sur soi de tous côtés la molle pesée de la vie universelle et que
le moi y résiste à peine et voudrait s’y perdre tout entier, quand la
vie arrive à n’être plus qu’une succession d’images sur lesquelles ne
s’exerce plus le jugement
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LECONTE DE LISLE.