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LES CONTEMPORAINS.


Marathon et Salamine, une sorte de joie héroïque les transporte, et leur génie s’épanouit en œuvres confiantes et superbes. Non qu’ils aient cessé de croire à la Moïra invincible ; mais peut-être est-elle intelligente : elle leur a laissé faire de si grandes choses ! Surtout ils adorent la beauté et savent l’exprimer sans y faire effort. Par la parole ou par les contours ils ont traduit les énergies de la Nature et celles du corps et de l’âme sous une forme qui les glorifie sans les altérer, où la plénitude et la spontanéité de l’impression produisent la grâce, qui est la marque de ces divins artistes. Leur vie même, qui les exerçait tout entiers, était comme une œuvre d’art dont ils s’enchantaient. Vraiment ils ont dû être heureux. Leur existence n’avait point de vide où se pût introduire le désespoir. Ils vivaient sous le destin et ils le savaient, mais ils ne s’occupaient que de vivre, et de vivre ici-bas. Ils s’accommodaient admirablement d’être hommes ; ils connaissaient ce que cela vaut depuis que trente mille Grecs avaient vaincu un million de Barbares. L’horreur en face de l’inconnu et la révolte contre ce qui est n’étaient chez eux que des sentiments passagers ; leur activité les sauvait de tout. Si la passion est fatale, elle ne va pas sans volupté. Si l’homme est opprimé par quelque chose de plus fort que lui, la résistance est bonne, fût-elle sans succès. La palestre, l’Agora, les Dionysiaques et les Panathénées leur étaient de suffisantes raisons de consentir à voir la lumière et empêchaient la ma-