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LES CONTEMPORAINS.


de plus. Par là la netteté du rythme répond à celle des images et les dessine en quelque sorte pour l’oreille ; et la régularité un peu monotone de la phrase musicale est encore, pour le poète, une façon d’exprimer à la fois et d’entretenir le calme de sa contemplation.

Ainsi se tiennent les éléments de l’œuvre de M. Leconte de Lisle le choix des sujets et la manière de l’artiste s’expliquant par un pessimisme originel. Ce qui est au fond, c’est un sentiment de révolte contre le monde mauvais et contre l’inconnu inaccessible, sentiment douloureux que vient apaiser la curiosité critique et esthétique et qui se résout enfin dans une étude sereine de l’histoire et de la nature pittoresque. Qu’il y ait quelque affectation dans ce détachement du poète, dans cette indifférence finale pour tout ce qui n’est pas un spectacle aux yeux, cela est possible, et je ne songe point à lui en faire un reproche. Son dédain de la passion est sans doute chose aussi humaine que la passion la plus emportée. Être convaincu que toute émotion est vaine ou malfaisante, sinon celle qui procède de l’idée de la beauté extérieure ; regarder et traduire de préférence les formes de la Nature inconsciente ou l’aspect matériel des mœurs et des civilisations ; faire parler les passions des hommes d’autrefois en leur prêtant le langage qu’elles ont dû avoir et sans jamais y mettre, comme fait le poète tragique, une part de son cœur, si bien que leurs discours gardent quelque chose de