de Lisle. L’homme comprend sur le tard que contre
l’Anankè, contre le mal universel, rien ne vaut mieux
et rien n’est plus fort que la protestation du contemplateur
qui ne veut pas pleurer. Peut-être aussi qu’à
y regarder de près, rien n’égale le tragique rentré,
l’amertume intérieure que ce genre de protestation
fait deviner. Mais cela est oublié lorsqu’on atteint aux
templa serena. Le mépris des émotions vulgaires et le
pessimisme spéculatif donnent, je ne sais comment,
un orgueil délicieux. Cet orgueil est-il mauvais ? je
ne sais. Qu’on se rassure du reste : il n’empêchera
pas d’agir et de souffrir à certains moments. — L’état
d’esprit où nous met la poésie de M. Leconte de Lisle,
une fois qu’on y est installé, est pour longtemps, je crois, à l’abri
de la banalité, le domaine qu’elle exploite étant beaucoup moins épuisé
que celui des passions et des affections humaines tant ressassées. De
là, pour les initiés, l’attrait puissant des Poèmes antiques et des
Poèmes barbares.
C’est peut-être un blasphème et je le dis tout bas ;
mais il est des heures où les Harmonies, les Contemplations et les
Nuits ne nous satisfont plus, où l’on est infâme au point de trouver
que Lamartine fait gnan-gnan, que Hugo fait boum-boum, et que les
cris et les apostrophes de Musset sont d’un enfant. Alors on peut se
plaire dans Gautier, mais il y a mieux. Si l’on n’a pas le grand
Flaubert sous la main, qu’on